La Revue Française de Psychanalyse

Entretien avec Paul Denis

Entretien avec Paul Denis

Rfpsy : Pourquoi ce titre, Œdipe médecin, pour votre dernier ouvrage?

Paul Denis : Ce titre a été d’abord celui d’un article demandé par Michel Gribinski pour sa revue « Le Fait de l’analyse » et dont le thème était « La maladie sexuelle ». Il est clair que l’organisation psychique élaborée autour de l’Œdipe favorise l’épanouissement d’une sexualité adulte aussi vivante que possible même si l’angoisse peut s’en mêler… Œdipe médecin de la « maladie sexuelle ».

Mais j’ai étendu le titre à l’ensemble des articles réunis dans ce livre car la faiblesse ou le défaut de repères œdipiens caractérisent nombre de fonctionnements inconfortables ou pathologiques du psychisme. Il est frappant au cours d’une analyse de voir le mieux être qui apparaît lorsqu’un système imagoïque évolue vers un systèmes d’instances sous-tendu par le complexe Œdipe.

CouvertureRfpsy : L’un des « fils rouges » de ce livre nous semble être la conception psychanalytique de l’objet, et ses multiples statuts (interne, externe, transitionnel..), que l’on retrouve aussi bien dans vos chapitres sur la dépression, la séparation, la douleur, que dans celui sur l’acte, et ceux sur la sublimation, l’humour et la création artistique. La complexité que vous y déployez, très liée à la distinction que vous avez proposée des deux formants de la pulsion, (Emprise et satisfaction, les deux formants de la pulsion Le fil rouge, 1997), n’est-elle pas au cœur de nombre des débats qui animent notre communauté?

Paul Denis : La question de l’objet en psychanalyse est en effet centrale, objet interne, objet externe, objet de la pulsion, objets partiels, je pourrais poursuivre une énumération sans fin. Au cœur de cette question de l’objet est celle de l’investissement. Une phrase dite en passant par René Diatkine m’a grandement éclairé : « L’objet est la métaphore topique de l’investissement », autrement dit c’est l’investissement libidinal qui fait l’objet, l’un renvoie à l’autre. Lorsque l’on parle d’objet de la pulsion cela implique que la pulsion est un courant d’investissement libidinal organisé autour d’un élément corporel. Il n’y a pas de pulsion sans objet alors qu’il peut y avoir excitation sans objet… La valeur organisatrice de l’investissement se concrétise en quelque sorte dans l’objet. Dans le schéma que j’ai proposé et auquel vous vous référez, celui de deux formants de la pulsion l’objet est d’abord investi « en emprise » par la voie des organes des sens et de la motricité — il est alors objet d’emprise — et l’expérience de satisfaction née de son contact avec telle zone érogène en fait un objet de satisfaction. L’objet de la pulsion naît ainsi de la combinaison de ces deux courants d’investissement. C’est dans cette expérience de la satisfaction que se constitue une « représentation » de l’objet, trace psychique qui combine une trame sensori-motrice engrammée en emprise avec la rémanence de la satisfaction. Chaque représentation est ainsi porteuse d’une sorte de quantum de satisfaction que son évocation active. L’objet est donc essentiellement psychique, même s’il résulte d’une sorte de colonisation d’éléments du monde extérieur. Les « objets internes » sont des combinaisons d’objets élémentaires — plutôt que partiels — telle constellation objectale interne peut acquérir une valeur organisatrice essentielle dont la perte touche le moi lui-même et menace celui-ci de désorganisation ; vécu de « perte d’objet » au sens fort du mot.

Rfpsy : L’autre grand axe est la question de la sexualité (rattaché au précédent bien sûr), dont vous soulignez la dimension psychique : elle est ce qui maintient le psychisme vivant, au prix des conflits, et des ruptures, le contraire du « silence » (considéré comme signe de santé pour ce qui est de la vie somatique par Claude Bernard). Cette conception ne constitue-t-elle pas ce qui reste aujourd’hui le cœur de la psychanalyse? Dans quelle mesure pensez-vous qu’elle soit acceptée, ou au contraire refusée, par nos contemporains?

ce n’est pas la sexualité qui maintient le psychisme vivant, c’est la sexualité qui constitue le psychisme

Paul Denis : Freud disait que la théorie des stades de la sexualité infantile était « une question de vie et de mort pour la psychanalyse » ; lorsqu’il écrivait que la psychanalyse était définie par l’inconscient, le complexe d’Œdipe et la sexualité infantile, il disait trois fois la même chose : c’est la sexualité reconnue comme organisatrice essentielle de la vie psychique qui  définit la psychanalyse. Le complexe d’Œdipe est une façon d’ordonner la sexualité infantile puis celle de l’adulte et l’inconscient freudien est sexuel, constitué par le refoulement de rejetons trop vifs de la sexualité. L’abandon, par différents auteurs, de la référence à la sexualité les conduit en fait à quitter le champ de la psychanalyse. Cela a été le cas de Jung, de Kohut, on pourrait le dire de la dernière période de Melanie Klein et en tout cas certainement d’un bionisme contemporain qui s’écarte complètement de Freud

Pour moi ce n’est pas la sexualité qui maintient le psychisme vivant, c’est la sexualité qui constitue le psychisme. La santé est peut-être bien le silence des organes à condition qu’il permette au bruissement continu de la sexualité de faire entendre sa basse continue…

Nos contemporains — pas tous, les écrivains et les poètes sont de notre côté —, refusent la sexualité comme organisateur foncier de la vie psychique car la sexualité est la folle du logis ; l’idéal est à la connaissance, avec un C majuscule mais, plus gravement, parce qu’une sorte d’idéal narcissique semble s’installer qui tend à enfermer les individus, comme le disait Tocqueville, « dans la solitude de leur propre cœur ». Et la sexualité est l’ennemie de cet enfermement.

On en arrive aujourd’hui à des paradoxes curieux où il s’agit de substituer le « genre » au sexe, car on serait censé être capable de choisir son genre, alors que le sexe est génétiquement imposé. La toute-puissance de l’esprit doit faire plier le sexe.

 

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