La Revue Française de Psychanalyse

88-2 Résumés des articles

88-2 Résumés des articles

THÈME : INCERTITUDE ET CONVICTION

Patrick Merot – L’homme incertain

RÉSUMÉ – L’auteur introduit son article en rapprochant les réflexions de Dorian Astor, spécialiste de Nietzsche, sur l’incertitude, de celles du philosophe Charles Sanders Peirce. Le premier prononce un vibrant plaidoyer pour l’incertitude et une dénonciation des effets délétères de la certitude, deux positions que l’on trouve déjà dans les écrits du second sur la croyance. Puis l’auteur souligne que Peirce va plus loin dans la description de la dialectique entre doute et croyance, puisqu’il la généralise – la pensée n’a d’autre but que de parvenir à la croyance – et lui donne une dimension économique – la croyance est un état de repos. Dans un troisième temps, l’auteur insiste sur la dimension inconsciente de ces processus psychiques : il reprend l’Esquisse puis se concentre sur la notion de relation d’inconnu de Guy Rosolato, en explorant le parallèle entre les deux couples relation d’objet/croyance, relation d’inconnu/doute. L’inconnu a une dimension anthropologique, celle de l’homme incertain.

MOTS-CLÉS – Astor, croyance, doute, incertitude, relation d’inconnu, Peirce, Rosolato.

Stavros Katsanevas – De l’incertitude en sciences, Suspiciendo Despicio, Despiciendo Suspicio

RÉSUMÉ – L’auteur traite de la gestion de l’incertitude dans la recherche et signale d’emblée combien celle-ci est effet du dilemme entre la stase : le passé conditionné par la causalité, et le flux : l’avenir incertain était un thème central, parfois latent, autant chez les philosophes, les poètes, les artistes que chez les scientifiques. Il affirme que les scientifiques ne traitent pas la certitude, basée sur ce qu’ils considèreraient comme des données infaillibles, mais traitent au contraire constamment l’incertitude, basée sur des hypothèses théoriques et sur ce qu’ils savent être des données intrinsèquement mixtes. Il montre ensuite la différence entre l’approche fréquentiste allant des données à la théorie, celle-ci pouvant faire faire apparaître la science comme une activité déductive oui/non, et l’approche bayésienne qui utiliserait la théorie comme un guide vers de nouvelles voies d’observation. Il stipule que les recherches en astrophysique ont été fécondes grâce à cette attitude vis-à-vis de l’incertitude qui permet la prise en compte des paradoxes, du négatif, du « bruit blanc », des trous noirs et le travail dans les zones frontières floues de l’interdisciplinarité. Ainsi, le renversement des catégorisations linéaires que les physiciens d’aujourd’hui effectuent rapprocherait leur travail de celui d’une « psychanalyse cosmique », tant ils s’efforcent d’explorer les parties sombres et violentes de l’Univers pour comprendre ses caractéristiques de naissance et de jeunesse en résolvant des énigmes qui en ouvrent d’autres. Enfin, l’auteur plaide pour une démocratisation et ouverture de la science au plus grand nombre en exprimant ses craintes quant au risque de la domination de l’espace public par l’information au détriment de la pensée.

MOTS-CLÉS – incertitude, épistémologie, recherche scientifique, astroparticules.

François Ladieu – La Physique : une science exacte où règne l’indétermination

RÉSUMÉ – La Physique est une science naturelle exacte, pourtant l’incertitude y joue un rôle croissant. En dissociant la cause efficiente et la cause finale d’Aristote, Galilée et la physique classique ramènent tout à du calculable, vouant l’incertitude à disparaître en principe. L’irruption de la physique quantique, et de son principe d’indétermination, aboutit à une incertitude radicale dont on a prouvé qu’elle ne provient pas de « variables cachées ». Ceci nous invite, désormais, à distinguer l’Être (en soi) et l’Existence, c’est-à-dire les phénomènes perçus, qui procèdent tous de l’Être sans que l’Être ne leur soit réductible. Cette étrangeté de l’Être et sa capacité à nous dire « Non » garantissent, paradoxalement, que les lois physiques ne sont pas le seul produit de notre (inter)subjectivité. Ainsi l’attitude sceptique et son symétrique – la domination absolue par le savoir – deviennent déraisonnables. Nous proposons une analogie avec les principes des pratiques psychanalytiques.

MOTS-CLÉS – incertitude, indétermination, lois physiques, corrélations instantanées à distance.

Johanna Velt – Squiggle game et physique quantique : jouer avec l’incertitude

RÉSUMÉ – Le principe d’incertitude révolutionne la pensée scientifique en remettant en cause le déterminisme jusqu’alors prévalent. L’auteur reprend quelques notions paradoxales de la physique quantique, comme la théorie de l’intrication et du choix retardé, puis tente de montrer que la psychanalyse fait également la part belle à l’indétermination et aux paradoxes, et l’illustre par une vignette clinique. Le squiggle game imaginé par Winnicott, qui favorise le chevauchement des aires d’illusion du patient et du thérapeute, sert de support à la thérapie d’un adolescent déprimé et en difficulté de symbolisation. Cette technique contient le paradoxe d’un imprévisible, non encore pensé, mais qui peut s’actualiser en séance. L’auteur s’interroge sur la pertinence de faire des analogies entre la physique quantique et des concepts psychanalytiques comme l’après-coup, l’aire transitionnelle et l’objet trouvé-créé, voire à des liens plus profonds entre ces deux champs.

MOTS-CLÉS – aire transitionnelle, squiggle game, après-coup, objet trouvé-créé, adolescence.

Claire Nioche – Osciller, rêver, croître

RÉSUMÉ – Les deux auteurs étudient incertitude et conviction à la lumière de la nature profondément émotionnelle du processus analytique. Après M. Klein, W.R. Bion développe l’idée d’une oscillation entre la position schizo-paranoïde et dépressive, mouvement interne essentiel au développement psychique. Ce mouvement pendulaire n’agit pas seul, mais dans une relation dynamique et complexe avec la relation contenant-contenu et la rêverie de l’analyste. Nous envisageons ensuite l’articulation entre capacité négative et « fait choisi », préalable à l’interprétation. La conviction interprétative, acquise par la mise en forme des matériaux psychiques, est toujours provisoire. L’analyste « sans mémoire, sans désir et sans compréhension » doit développer une capacité de renoncement à la sécurité et à la cohérence de la position dépressive, pour affronter de nouveau incertitudes fragmentées et persécutrices, étape nécessaire à la croissance psychique.

MOTS-CLÉS – position dépressive et schizo-paranoïde, PS↔D, fait choisi, relation contenant-contenu, capacité négative, rêverie.

Claire-Marine François-Poncet – Conviction d’un sexe, incertitude du genre

RÉSUMÉ – Les relations de genre, au masculin-féminin, sont organisées par les règles culturelles de l’ordre symbolique de la différence des sexes et des générations. L’interprétation de ces règles, toujours subjective, laisse une part d’incertitude, d’inconscient, transmise par la polysémie des mots et de la langue. La lecture analytique du roman Fille, de Camille Laurens, offre une illustration du travail psychique issu du questionnement de la distinction des genres dans des échanges sur trois générations. Ce travail de culture puise dans les récits populaires et littéraires. La conviction d’être une fille, puis une femme, évolue avec le devenir incertain du féminin ou du masculin dans les après-coups successifs de la vie de la narratrice. Les incertitudes de l’adolescence, dans le roman et dans la clinique contemporaine, s’accompagnent d’un refus de l’ordre « patriarcal » dans les théories sexuelles infantiles d’une nouvelle génération.

MOTS-CLÉS – genre, sexe, incertitude, conviction, langue.

Dinah Rosenberg – Quelques remarques sur l’inquiétante étrangeté dans la mise en place d’une analyse

RÉSUMÉ – Cet article interroge à travers un cas clinique un effet de la mise en place d’une analyse après un assez long face à face qui fait du changement de cadre un acte pris dans le transfert. Dans ce cas, la demande a donné lieu à un moment d’inquiétante étrangeté pour le patient dont le sens est mis en lien avec sa paternité à venir, la réalité de la mise en place de la cure et la réactivation d’un fantasme œdipien et meurtrier. L’inquiétante étrangeté apparaît comme une manifestation d’incertitude quant aux frontières de la réalité et du fantasme, du dedans et du dehors, de l’analyste et du patient. Ce moment étrangement inquiétant semble surtout lié à une modalité du transfert en double, excitant et engageant fortement le masochisme et le sadisme du patient et de l’analyste. C’est en effet au travers des associations de l’analyste et d’un moment de trouble vécu par l’analyse que masochisme et sadisme se déploient et prennent sens dans la cure.

MOTS-CLÉS – inquiétante étrangeté, transfert, masochisme, demande d’analyse, fantasme « un enfant est battu ».

Marie-Laure Léandri – Parvenir à l’incertitude : un processus

RÉSUMÉ – L’auteur propose de considérer l’incertitude dans la cure comme un processus, non comme une visée en soi. À partir de l’analyse d’un agir contre-transférentiel dans une cure, qui invalide son écoute, elle déroule les deux temps de l’élucidation de ce qui s’avère constituer un contre-transfert traumatique. Elle montre comment l’affect permet de qualifier le transfert et le contre-transfert et engage une analyse des enjeux traumatiques inconsciemment niés. Elle examine à cette occasion l’analogie d’un contre-transfert traumatique avec le système paradoxal de Michel de M’Uzan qui annonce l’arrivée du concept de chimère, analogie qu’elle récuse, malgré des chevauchements. En effet, si pour de M’Uzan, dans le système paradoxal, les productions qui assaillent l’analyste ne constituent pas une réaction individuelle au transfert du patient, le contre-transfert traumatique tel qu’entendu ici révèle à l’inverse une résistance de l’analyste, en fonction d’une zone traumatique réprimée.

MOTS-CLÉS – affect, certitude, contre-transfert monovalent, contre-transfert traumatique, féminin mélancolique, système paradoxal.

DOSSIER : PSYCHANALYSE ET PHILOSOPHIE

Jérôme Porée – La mélancolie au miroir de l’enfance. Une greffe de la psychanalyse sur la phénoménologie

RÉSUMÉ – La mélancolie est tenue à bon droit pour la forme achevée du désespoir. C’est la fin de toute liberté et par là de tout projet, au sens radical que reçoit ce terme dans la philosophie phénoménologique. On peut cependant se demander, s’il en est ainsi, pourquoi tous les mélancoliques ne se tuent pas. Ne doit-on pas supposer pour cela qu’un avenir reste ouvert, lorsque l’horizon du projet s’est refermé ? Une telle hypothèse conduit à l’idée – paradoxale – d’une espérance mélancolique. Relier la mélancolie à l’enfance est approfondir ce paradoxe, qu’il s’agisse de comprendre l’origine de la maladie ou, à l’inverse, celle des ressources dont dispose encore le patient pour ne pas s’y perdre tout entier. Il faut accepter alors la greffe de la psychanalyse sur la phénoménologie. À elle d’éclairer ce qui fait que l’espérance reste ou ne reste pas une forme vide.

MOTS-CLÉS – phénoménologie, psychanalyse, mélancolie, espérance, enfance.

Claire Pagès – L’excès d’individuation : pathologie d’une communauté culturelle

RÉSUMÉ – L’article est consacré à une critique de la catégorie d’individu que la psychanalyse a souvent prise pour argent comptant. Est en question la conception de l’individu moral comme un être isolé, cohérent, autonome, singulier, constitué comme tel préalablement à tout contact avec autrui, et caractérisé par l’intériorité et l’intimité d’un moi. Bien qu’alliée privilégiée dans la déconstruction d’une certaine conception de la subjectivité, la psychanalyse n’en contribue pas moins par un autre bout à asseoir la conception moderne de l’individualité. La présente contribution montre que la philosophie peut dégager ce présupposé discutable de la psychanalyse classique, selon lequel l’individu serait un être isolé, présupposé solidaire d’un certain discours sur l’autonomie morale des sujets, pour expliquer ensuite qu’en dépit du caractère largement imaginaire de la clôture de la subjectivité, de ses dimensions d’intimité et d’intériorité, les souffrances liées à l’excès d’individuation n’en sont pas moins réelles et destinées à être entendues par une clinique centrée sur les pathologies de l’individualité.

MOTS-CLÉS – individu, interdépendances, Norbert Elias, autonomie, pathologies de l’individualité, idéal du nous.

Nancy Mentelin – « Nous, les femmes, que ferions-nous d’une ambition ? » Lou Andreas-Salomé, philosophe et anti-philosophe, psychanalyste et écrivain

RÉSUMÉ – Si l’œuvre littéraire de Lou Andreas-Salomé est une œuvre sans ambition, elle préfigure autant qu’elle redéploie les motifs qui jalonnent ses textes analytiques, également marqués par une ingénuité de façade. Les images choisies par Lou viennent donner corps à un entre-deux de la littérature et de la psychanalyse, qui relève également de la philosophie. Une lecture de Jutta, innocente nouvelle écrite en 1933, fait apparaître la prégnance des échanges fondateurs avec Nietzsche, où la vocation thérapeutique de Lou prend forme en contrepoint d’une redistribution inédite entre l’Eternel Féminin et l’Eternel masculin dont le philosophe a l’intuition à son contact. Si Lou peut se défendre d’avoir produit une grande fiction, nous pouvons repérer dans l’ensemble de son œuvre les linéaments d’une vaste ramification qui opère au cœur de cet entre-deux de la littérature et de la psychanalyse, et qui doit à la philosophie son irréductible géographie.

MOTS-CLÉS – naissance de la psychanalyse, philosophie, littérature, interdisciplinarité, Nietzsche, Spinoza.

Alain Gibeault – Théorie de la connaissance et théorie du fonctionnement mental. Réflexions sur la fécondation réciproque entre philosophie et psychanalyse

RÉSUMÉ – Les rapports ambivalents entre philosophie et psychanalyse traversent l’œuvre freudienne et sont explorés à partir d’une interprétation des références philosophiques de Freud à Kant. L’enjeu vise à montrer la complémentarité entre les deux approches dans l’élaboration d’une théorie de la pensée. La phénoménologie permet ainsi d’aller au-delà des interprétations empiristes et intellectualistes de la métapsychologie freudienne en faisant prévaloir une expérience antéprédicative au monde. Mais elle reste en deçà de la découverte freudienne de l’inconscient, qui suppose le refoulement de ce sentir primordial. Par ailleurs, la découverte de l’atemporalité de l’inconscient détermine une conception non linéaire et relative de l’espace et du temps, comme en témoigne la dimension de l’après-coup, de ce fait plus proche de la conception de la physique quantique, contrairement à Kant dont l’objectif était d’assurer les fondements théoriques de la physique de Newton et d’un espace-temps absolu.

MOTS-CLÉS – jugement d’attribution, jugement d’existence, expérience antéprédicative, espace-temps psychique, atemporalité de l’inconscient

Dominique Bourdin – Psychanalyse et philosophie : quel dialogue ?

RÉSUMÉ – Leur méthode et leur objet distinguent et opposent psychanalyse et philosophie. La philosophie interroge la psychanalyse (Ricœur, Agamben, F. Jullien) ; parfois elle a recours à la psychanalyse, comme le fait l’École de Francfort. La psychanalyse a recours à la philosophie, pour son épistémologie, dans sa transmission ou certaines de ses élaborations théoriques, et plus généralement dans la mise en œuvre rigoureuse de réflexions pluridisciplinaires. La pensée clinique issue de la psychanalyse a pour sa part interrogé le questionnement philosophique et parfois contribué à le renouveler. Si la psychanalyse n’est pas une vision du monde, certaines élaborations psychanalytiques sont sous-tendues par une « philosophie spontanée », selon le mot d’Althusser, et les débats psychanalytiques gagnent en clarté si ces présupposés sont mis en lumière. Enfin nombre de questionnements essentiels se retrouvent, dans des perspectives différentes, et en philosophie et en psychanalyse, à commencer par les thématiques du sujet, de l’altérité, de l’être et de la mort ; philosophes et psychanalystes ne peuvent s’ignorer mutuellement dans ces carrefours de l’expérience et de la pensée humaines.

MOTS-CLÉS – épistémologie, méthode, pensée critique, philosophie, psychanalyse.

Sabine Sportouch – Le temps, l’espace, le corps, entre psychanalyse et phénoménologie. Une expérience de la danse en hôpital de jour

RÉSUMÉ – Cette recherche clinico-théorique propose de rendre compte de l’importance du médium danse dans le cadre d’un atelier au sein d’un hôpital de jour pour adultes. Comment le corps morcelé et partant la psyché déstructurée peuvent-ils se réorganiser via le mouvement dansé ? Comment l’articulation corps, espace, temps permet-elle de renforcer les assises subjectives ?
L’auteur rend compte d’une expérience clinique groupale qui se réfère, dans l’après-coup, caractéristique d’une théorisation ancrée, aux recherches sur la « structuration dynamique de l’image du corps », menée par la psychanalyste Gisela Pankow, elle-même se référant aux apports théoriques de la philosophie heideggerienne et du courant phénoménologique.
Elle propose ainsi une « contribution à la méthode de structuration dynamique dans les psychoses » (Pankow, 1956) et à une phénoménologie clinique des expressions sportives, corporelles et artistiques, propres à penser le rapport entre corps somatique, corps psychique et corps érotique dans une perspective clinique psychanalytique dialoguant avec une approche phénoménologique.

MOTS-CLÉS – espace, temps, corps, danse, groupe, psychose, phénoménologie, psychanalyse.

RUBRIQUES

Cadre, société et pratiques psychanalytiques

Thomas Pollak – La psychanalyse dans le corset des directives. La réglementation des traitements psychanalytiques dans le cadre de l’assurance maladie

RÉSUMÉ – Au centre de cet article se trouve La « directive sur la psychothérapie », qui réglemente l’application de la psychanalyse dans le cadre de l’assurance maladie. L’auteur aborde dans cette première partie, tout d’abord la relation entre la psychanalyse et le traitement des malades, pour ensuite exposer l’histoire de l’établissement de la « directive » et son caractère de compromis. Ensuite sont discutés certains éléments de la réglementation. Dans une deuxième partie, qui sera publiée dans un prochain numéro, l’arrière-plan théorique du système des directives est éclairé, avant que l’auteur ne plaide finalement pour des modifications fondamentales.

MOTS-CLÉS – psychanalyse, traitement des malades, assurance maladie, santé publique.

Massimiliano Sommantico (avec la collaboration de Jean-Baptiste Dethieux) – Le cadre analytique mis à l’épreuve : rester analyste en temps de pandémie

RÉSUMÉ – À travers l’analyse d’un vacillement du cadre survenu pendant le déroulement d’une analyse et, ce, après la fin du confinement lié à la pandémie, l’auteur s’interroge sur les aménagements, voire, les bouleversements du cadre analytique dans cette situation sans précédent qui va préfigurer une sorte de nouveau traumatisme collectif. Dans une situation où patient et analyste partagent une réalité externe commune, de nature traumatique et qui peut produire des distorsions et des transformations dans l’écoute analytique, sera, plus que jamais, nécessaire le recours à un travail auto-analytique permanent afin de permettre à l’analyste de conserver son cadre interne, en garantissant la poursuite du travail analytique, à travers le soutien de la dimension symbolisante de sa pensée clinique et du statut analytique du processus. L’auteur souligne enfin la nécessité de continuer à s’interroger sur les changements de cadre liés à la pandémie, afin d’en écouter les effets d’après-coup.

MOTS-CLÉS – cadre, analyse à distance, transgression, rêve, transfert-contre-transfert.

Psychanalyse et mythologie

Brigitte Reed-Duvaille, Nikolaos Rigas – Médée d’Euripide. Du maternel au féminin, l’émergence de la haine

RÉSUMÉ – À la différence des autres poètes tragiques, Euripide expose les états intérieurs successifs faisant l’objet de notre analyse, traversés par Médée personnage principal et titre de sa tragédie. L’antagonisme du maternel et du féminin domine le drame. Médée, trompée et trahie par Jason, amant et père de ses enfants, sombre d’abord dans une souffrance extrême, indicible, d’ordre mélancolique. Elle s’en extrait dans un second temps grâce à l’émergence de la haine éprouvée à l’égard de sa rivale Creuse. Médée exprime des revendications phalliques aux accents féministes et va concevoir une stratégie vengeresse. Traversée par des courants psychiques d’amour et de haine, elle ne parvient pas à élaborer son ambivalence. L’élimination de sa rivale Creuse n’assouvit pas comme attendu sa haine envers Jason. Cette hémorragie narcissique inextinguible laisse supposer que la perte de Jason est celle d’un objet maternel primaire, submergeant celle d’un objet œdipien. In fine, l’acte infanticide de Médée, le meurtre de ses deux fils, signe une désintrication pulsionnelle, œuvre de la pulsion de mort.

MOTS-CLÉS – Médée, Euripide, maternel/féminin, amour/haine, infanticide, pulsion de mort.

Concept et théorie

Bernard Penot – Le narcissisme n’est pas premier

RÉSUMÉ – Contrairement à ce que Freud pourrait laisser entendre lorsqu’il a forgé, en 1914, son concept de narcissisme, l’investissement libidinal par chacun de sa propre personne n’est pas une production spontanée première, interne à l’organisme individuel. C’est bien plutôt une reprise organisatrice complexe qui s’effectue à partir de la perception que chaque nouveau sujet peut avoir de la qualité de l’investissement porté sur lui de la part des parents qui lui ont donné la vie. C’est ce qui semble assez exemplairement illustré dans deux ouvrages parus à Paris l’an dernier sous le titre Narcissisme : chacune des « personnalités narcissiques » fameuses qui s’y trouvent exposées a dû supporter un investissement parental très éprouvant. Aussi faut-il bien voir que Freud a lui-même parsemé ses écrits d’indications dans le sens d’une telle genèse trans-individuelle et générationnelle du narcissisme de chacun. Il nous a légué du reste de cela une belle illustration auto-analytique dans sa fameuse lettre de 1936 à Romain Rolland.

MOTS-CLÉS – narcissisme, investissement parental, prématurité, position dépressive, surmoi, Acropole, judaïsme.