87-4 Résumés des articles
THÈME : LES SUBLIMATIONS
Laurence Kahn – L’heure zéro. Mythe, déréalisation, fondation
RÉSUMÉ – Même si la sublimation ressortit à un jugement de valeur dont Freud a fait l’un des étais de sa définition, l’assimilation du travail à l’activité artistique – placé au cœur du mythe national-socialiste – tout comme le rôle joué par « l’art de la politique » exigent que l’on interroge la performativité culturelle du mythe aryen et son pouvoir utopique, puis que l’on questionne le processus collectif qui conduisit la communauté allemande à « déréaliser » la dévastation et les pertes, au bénéfice d’une reconstruction quasi maniaque. Comment la haine cimenta-t-elle la collectivité en emboîtant les revendications de la pulsion d’auto-conservation individuelle dans la promesse d’un Lebensraum supposé garantir l’auto-conservation du groupe ? À l’inverse, quel sens attribuer à L’homme Moïse à l’heure où la « déjudaïsation » du droit tentait d’éradiquer la rationalité abstraite de la loi juive et sa fonction sublimatoire ? Enfin grâce à quelle conflictualisation la société allemande parvint-elle à surmonter le silence qui s’était abattu sur l’histoire à ‘l’heure zéro’ ?
MOTS-CLÉS – nazisme, idéaux, sublimation, réalité, déréalisation, Moïse.
Laurent Danon-Boileau – Quelles sublimations ? Quels équilibres ?
RÉSUMÉ – On oppose sublimation « d’exception », productrice de biens culturels (quelle qu’en soit la qualité), et sublimation ordinaire, sans production particulière, mais préservant le plaisir du sujet dans la vie quotidienne. Si la première peut avoir partie liée avec l’excès économique et la pulsion de mort, la seconde se place d’emblée sous l’égide du principe de plaisir. Toutefois l’articulation de ces deux formes de sublimation, pourtant décisive, s’avère souvent délicate. Certains créateurs ont recours au clivage fonctionnel, maintenant leur conviction de toute-puissance dans le registre de la sublimation d’exception et du travail de l’œuvre, mais limitant ses effets dans le registre du quotidien et de la sublimation ordinaire. Pourtant, cette « solution » ne permet pas la prise en compte de la castration. Shakespeare le montre quand, à la fin de La tempête, Prospero l’alchimiste sacrifie son savoir civilisateur sur l’autel de la transmission, relançant alors son appétence sublimatoire.
MOTS-CLÉS – clivage, castration, Éros, pulsion de mort, sublimation d’exception, sublimation ordinaire, toute-puissance.
Claire Maurice – « Passions et destins des passions » : quelle(s) issue(s) sublimatoire(s) ?
RÉSUMÉ – Le rôle des restes diurnes dans la formation du rêve est variable. Tantôt indifférents, ils servent de substituts au désir du rêve. Tantôt instigateurs principaux du rêve, ils trouvent des voies d’élaboration dans la régression onirique. Ces deux voies de formation du rêve rejoignent la distinction proposée par Freud entre les rêves d’en bas et les rêves d’en haut. L’auteur revient sur les nombreuses questions soulevées par cette distinction et la manière dont Freud aborde l’articulation entre vie onirique et fonctionnement psychique de veille. Cette distinction ouvre également sur l’étude des autres fonctions du rêve que sont la liaison et la régulation de l’économie psychique. Le travail du rêve préside au maillage du perceptif au pulsionnel grâce au jeu de la déformation et participe ainsi à l’édification des chaînes de pensées. Si le rêve est essentiel à notre santé psychique, il l’est aussi à notre santé physique, comme l’ont montré les psychosomaticiens de l’École de Paris.
MOTS-CLÉS – passion, idéalisation, désexualisation, sublimation, deuil.
Sylvie Pons Nicolas – Sublimations et deuil. Avatars de la trajectoire d’un processus
RÉSUMÉ – L’auteur interroge la proposition de Laurent Danon-Boileau qui fait de l’élaboration de la castration un point déterminant pour différencier deux types de sublimations. Elle recherche les prémices de cette distinction dans les écrits théoriques de Freud et de certains auteurs post-freudiens comme Green et Duparc. Chemin faisant, la question du deuil de la perte, introduite par Freud dans « Éphémère destinée », l’amène à envisager la sublimation comme une consolation face à la « passagèreté » et l’incertitude. Ce qu’elle articule avec la perte de l’omnipotence, selon Winnicott. En appui sur la clinique présentée lors du colloque, elle aborde la fonction du public dans certaines sublimations artistiques « adressées », et propose qu’il y ait différents types de sublimations en fonction des avatars de la trajectoire du processus sublimatoire à l’œuvre dans la résolution du conflit œdipien. Ne s’agirait-il pas de distinguer entre des sublimations des pulsions partielles préœdipiennes et celles résolument post-œdipiennes, avec leur corollaire, la castration ?
MOTS-CLÉS – sublimations, deuil, perte, œdipe, imago, liens incestueux.
Emmanuelle Chervet – Nécessité et insuffisance des sublimations
RESUMÉ – L’auteure discute l’idée de Laurent Danon-Boileau d’une origine de la sublimation liée à un manque de représentations inconscientes qui exige le traitement de l’excitation traumatique en excès. Elle propose d’introduire aussi le rôle du surmoi pour permettre l’aboutissement de la sublimation, processus actif qui passe par la trouvaille d’un objet du monde à transformer. C’est de l’articulation de la sublimation à l’identification que dépend sa valeur élaborative pour la psyché. Une vignette clinique illustre le fait qu’une rupture dans la sublimation ouvre à l’élaboration d’un pan de l’histoire qu’elle occultait. Quelques précisions sont proposées sur la différenciation entre sublimations « ordinaires » et sublimations « d’exception ».
MOTS-CLÉS – sublimation, surmoi, identification, traitement du traumatique, trouvaille d’objet.
Bernard Chervet – Contribution à la métapsychologie de la sublimation
RESUMÉ – La sublimation est un destin de pulsion à différencier de la désexualisation et de la production des formations de l’inconscient. Elle réunit une retenue pulsionnelle première, un court-circuit de l’autoconservation, une référence à un idéal et un usage de matériaux concrets tangibles. La matérialité des réalités tangibles externes tient lieu d’inscription narcissique. La désexualisation fondatrice des investissements narcissiques utilise la tendance à la réduction à l’inorganique, alors que la création de nouvelles réalités est mue par l’aspiration à une extension infinie. Le travail de sublimation de Freud se déroule selon des après-coups successifs. Chaque étape offre aux précédentes une intelligibilité quant à la fonction anti-traumatique qu’elles assurent et à leur fonction fondatrice du psychique. La sublimation crée un matériau censé être idéal. Mais par sa création elle réintroduit des différences et par elles les éprouvés de manque qu’elle a cherché à éliminer. Elle est infinie.
MOTS-CLÉS – Extinction, extension à l’infini, inscription, sublimation, esquive du renoncement, désexualisation, création.
François Richard – Contradictions dans la sublimation 1923-2023
RESUMÉ — Cet article cherche à montrer, à partir d’une lecture serrée de Le moi et le ça, l’actualité de l’hypothèse freudienne de 1923 sur la sublimation intrinsèquement contradictoire, entre réussite d’une opération de transformation salvatrice de la libido et risque corollaire de déliaison entre éros et pulsion de mort. Il souligne la grande différence entre la définition précise de la sublimation comme métamorphose du polymorphisme sexuel infantile en polymorphisme artistique et littéraire, et sa définition comme simple désexualisation, laquelle évolue facilement en désublimation dépressive. Lorsque le refoulement ne suffit plus, un clivage apparaît, on tient peut-être là un état limite de la névrose : on peut faire l’hypothèse qu’une vague hallucinatoire menace le moi et appelle un recours à la sublimation comme solution d’urgence. Clivage ou sublimation, telle est alors la question. Des exemples littéraires classiques (Hugo, Breton, Aragon, Gracq) illustrent cette hypothèse – laquelle éclaire aussi les antisublimations modernes, en particulier certaines tendances de l’art contemporain et des contre-cultures adolescentes, pour lesquelles la déliaison est une valeur. D’autres formes de création suggèrent des issues plus positives, où la contradiction entre les pulsions et l’esthétique du sublime est moins tendue.
MOTS-CLÉS – clivage, culture, désublimation, Éros, état-limite, pulsion de mort, sublimation.
Anouck Driant — La reine du crime. Jeu et… fin de partie
RESUMÉ – L’article propose d’explorer les sublimations dans l’œuvre d’Agatha Christie dont on connaît le succès retentissant. Dans sa très longue autobiographie, nous la voyons tenter de transformer par tous les moyens (jeu, écriture, pulsion d’investigation) une enfance pourtant non exempte de manques, de blessures, de traumatismes, auxquels répondront pas moins de soixante-six crime novels, dans lesquelles le mal banal intrafamilial est partout, et le meurtre premier. Christie entraînera chaque fois son lecteur dans une enquête passionnante et excitante, résolue par ses célèbres détectives (Hercule Poirot et Miss Marple). Son plaisir à écrire et sa réussite d’écrivaine ne pourront cependant pas la protéger d’un épisode clinique grave lorsqu’en 1926, elle disparaît onze jours, souffrant d’un moment de psychose hystérique, recouvert par le silence d’une amnésie totale.
MOTS-CLÉS – création littéraire, sublimation d’exception, sexualité infantile, traumatisme, disparition, psychose hystérique.
Philippe Givre — Sublimations performative et idéative à l’adolescence
RESUMÉ – Destin pulsionnel « le plus rare et le plus parfait », la sublimation réalise un domptage de l’intensité pulsionnelle tout en en préservant la tension psychiquement vivifiante. À défaut que ce don ait pu provenir de l’Autre, les solutions sublimatoires octroient au sujet un « crédit de subjectivation », grâce à l’instauration d’un dialogue imaginaire avec ses doubles. Pour y réussir, deux modalités sublimatoires sont susceptibles de s’exprimer à l’adolescence : la première, dite performative, autorisée par les activités artistiques, donne accès à une forme d’expression qui préserve au maximum le plaisir de faire ; la seconde, dite idéative, impliquée dans l’investigation scientifique et l’activité intellectuelle, repose quant à elle sur le plaisir de pensée. En restant au plus proche du directement pulsionnel, la sublimation artistique conquiert aux yeux de Freud un statut électif et privilégié, puisqu’elle favorise des possibilités d’autoaffectation de soi par soi via la symbolisation primaire.
MOTS-CLÉS – David Bowie, domptage pulsionnel, double, Léonard de Vinci, sublimation performative/sublimation idéative.
DOSSIER : MARIE BONAPARTE-SIGMUND FREUD CORRESPONDANCE INTÉGRALE 1925-1939
Entretien avec Mary Leroy
RESUMÉ – Cet entretien avec Mary Leroy, directrice littéraire aux éditions Flammarion, met en évidence le travail éditorial en amont de la rédaction de la Correspondance intégrale entre Marie Bonaparte et Freud, grâce à l’équipe réunie par Mary Leroy et Cécile Marcoux avec Rémy Amouroux et Olivier Mannoni. Il met l’accent sur l’engagement et le soutien de la famille Bonaparte, celui de la Bibliothèque du Congrès et, d’autre part, l’intérêt de l’éditrice pour les recherches de Marie Bonaparte sur le plaisir féminin.
MOTS-CLÉS – Marie Bonaparte, Freud, correspondance, plaisir féminin.
Cécile Marcoux – Traces de bibliothèque
RESUMÉ – L’histoire des bibliothèques de psychanalyse peut sembler s’écrire à la marge de l’histoire du mouvement psychanalytique, pourtant ces bibliothèques ont accompagné le mouvement depuis son origine. De la première bibliothèque viennoise à la Bibliothèque Sigmund Freud d’aujourd’hui, un fil de transmission du savoir s’est lentement, et quelquefois douloureusement tissé.
MOTS-CLÉS – Bibliothèque de la Société psychanalytique de Vienne, Bibliothèque Sigmund Freud, Fonds Marie Bonaparte.
Rémy Amouroux — La tentation psychobiographique. Autour des archives de Marie Bonaparte
RESUMÉ – La récente publication de la volumineuse correspondance entre Sigmund Freud et Marie Bonaparte a mis en lumière l’importance des archives de cette dernière. De Paris à Washington, en passant par le Texas, ce sont des dizaines de mètres linéaires qui sont aujourd’hui disponibles. Il ne s’agit pas seulement de textes techniques liés à sa production scientifique, mais aussi et surtout, de documents biographiques : lettres, journaux intimes et productions enfantines. Cette pionnière française de la psychanalyse et adepte convaincue de l’approche psychobiographique nous a en effet légué tout le matériel nécessaire pour que l’on se penche sur sa vie psychique intime. Malgré tout l’intérêt de cette démarche, cet article invite à ne pas céder trop rapidement à cette tentation psychobiographique, et à considérer ses archives comme un construit plutôt que comme un témoignage brut.
MOTS-CLÉS – Marie Bonaparte, Sigmund Freud, archives, historiographie, psychobiographie.
Olivier Mannoni – Entre toutes les langues. Marie Bonaparte et Sigmund Freud, un dialogue sur tous les registres
RESUMÉ – Entamée en 1925, la relation épistolaire entre Marie Bonaparte et Sigmund Freud s’étalera sur plus de treize ans et regroupera près d’un millier de lettres. Exubérante, débordant d’énergie, Marie Bonaparte s’adresse d’abord en français à un Sigmund Freud que cette femme résolument moderne et curieuse ne tarde pas à intriguer. Marie passera ensuite à l’allemand, puis, au fil des séances, à la langue de la psychanalyse, méthode et pensée qu’elle va largement contribuer à faire connaître en France, et pour finir à celle de la confiance et de l’amitié.
MOTS-CLÉS – langue, dialogue, amitié, correspondance.
Emmanuelle Chervet – La correspondance Sigmund Freud-Marie Bonaparte : un parcours d’analyse en plusieurs temps
RESUMÉ – La correspondance de Freud et Marie Bonaparte est le récit d’une véritable analyse, qui commence par l’élucidation de la névrose infantile de Marie. Puis l’élaboration de sa bisexualité alterne avec des mouvements compulsifs qui la poussent à des actes chirurgicaux devant lesquels l’analyse est impuissante. Mais l’élaboration progressive de ses identifications et des deuils afférents lui permet de passer d’une position de victime aux réalisations de l’analyste et de la Princesse, en « dernière des Bonaparte ».
MOTS-CLÉS – Marie Bonaparte, correspondance, bisexualité, compulsion, deuils.
RUBRIQUES
Psychanalyse et littérature
Monique Selz – Thésée, sa vie nouvelle ou Comment vivre avec ses morts sans en mourir
RESUMÉ – Thésée, sa vie nouvelle est un livre de Camille de Toledo, remarquable par son écriture, qui est une véritable création poétique qui raconte le devenir de Thésée, à la suite du suicide de son frère Jérôme et de la mort de ses parents. Tentant d’échapper à un destin de mort, Thésée s’éloigne du lieu où a vécu et péri sa famille, et part s’installer à Berlin. Mais là-bas, il s’effondre, ou plutôt, son corps s’effondre, pris de douleurs intolérables qui l’immobilisent sur son lit. Toute médication classique n’étant d’aucune efficacité, il se plonge dans les cartons d’archives qu’il avait emportés avec lui lors de sa fuite. Il y découvre alors l’histoire de ses ancêtres, caractérisée par un exil, des morts et surtout un oubli radical des valeurs d’origine. Mais cette histoire, non dite et non transmise, agit sur les deux frères, Jérôme et Thésée, à leur insu. L’auteure de cet article a vu dans cette œuvre la métaphore d’un parcours analytique et la façon dont les corps viennent révéler ce qui n’a pu s’élaborer psychiquement.
MOTS-CLÉS – suicide, mort, exil, déplacement, corps, mémoire, traces.
Clinique et pratique psychanalytiques
Anne-Valérie Mazoyer et Vincent Estellon – Deuil et amour. Apports du vécu du deuil à l’analyse du transfert (amoureux) et du contre-transfert
RESUMÉ – Cet article est né d’une réflexion partagée sur le cadre et l’écoute cliniques mobilisés auprès d’une patiente endeuillée (Emma) lorsque le thérapeute est lui aussi touché dans sa vie personnelle par un événement de même teneur dramatique. Autrement dit, nous nous penchons sur ce qui fait point de contact entre le vécu du patient et celui du clinicien. À la faveur d’un cas unique, Emma, nous avons aussi discuté les modalités de traitement du deuil et analysé comment l’objet d’amour passionnel pouvait rappeler de façon métonymique l’objet perdu, suspendre le deuil et contenir la douleur. Seule l’analyse des mouvements transférentiels et contre-transférentiels favorise une reprise de l’espace de pensée, et évite de tomber dans les pièges de l’identification, de la séduction mutuelle ou encore de la réparation dans le cadre thérapeutique.
MOTS-CLÉS – deuil, amour passionnel, transfert, contre-transfert.
Psychanalyse et questions actuelles
Jean-Baptiste Marchand – Nouveaux propos sur le genre en psychanalyse : un inconscient genré, crise ou révolution ?
RESUMÉ – De nos jours, le terme de genre est de plus en plus utilisé. Il est régulièrement convoqué dans des débats de société parfois houleux. De son côté, la psychanalyse est questionnée et (re)mise au travail par les mêmes questions de société et par le concept de genre lui-même, aux niveaux théorique, clinique, et même politique. Ainsi, afin d’apporter quelques éclairages à propos des défis auxquels le genre confronte la psychanalyse, et afin de recentrer (et peut-être de dépassionner) les débats, cet article propose dans un premier temps de revenir sur la définition du concept de genre et sur la question qu’il pose à la psychanalyse. Ensuite, il s’agira de situer la clinique du genre et sa spécificité, puis de tenter de définir le genre en psychanalyse, notamment au sein du développement libidinal et dans la métapsychologie. Enfin, pour conclure, il sera exposé une hypothèse concernant les difficultés, débats et discordes que le genre ne cesse de susciter en psychanalyse, sans aboutir.
MOTS-CLÉS – genre, psychanalyse, diégèse, simulacre, crise, révolution.