87-3 Résumés des articles
THÈME : LES RESTES
Horizons
Petra Palermitti – Dire et sentir – Le « reste » chez Sigmund Freud et chez Sheila Hicks
RÉSUMÉ – Freud, enfant de son époque riche de découvertes, s’est intéressé à la philosophie comme aux sciences. Ses considérations sur le « reste » comme l’inconnaissable dans le psychisme l’amènent à se différencier de l’éclairage kantien et à souligner le rôle de la perception dans la formation du rêve et de la représentation. Le mot « reste » ne deviendra pas un concept dans son œuvre mais sera précisé par d’autres termes. Apparaît ainsi le Niederschlag, emprunté à la chimie, qui sera traduit par un ensemble de mots comme par exemple « précipité ». À d’autres moments apparaissent des mots composés comme les « restes diurnes » (Tagesreste). Leur emploi signe la prise en considération de la perception de Freud dans la formation des représentations de mots. Ces réflexions freudiennes ont été reprises et développées par des psychanalystes contemporains. Pour eux, le perceptif devient l’organisateur d’un état traumatique de vide de représentation. L’auteur souligne que le perceptif a ce rôle organisateur, non seulement dans des états traumatiques ou dans la vie nocturne, mais apparaît aussi dans les travaux d’artistes comme ceux de S. Hicks et encore dans le silence du quotidien de la cure.
MOTS-CLÉS – reste, traduction, inconnaissable, perception, régrédience, sensorialité, silence.
Claude de la Genardière – Un reste ratatiné ?
RÉSUMÉ – À partir de la description donnée par Freud des débuts de la construction du moi et de son évolution vers la maturité, l’article revient sur le travail de la mémoire et sur une conception du temps qui appelle à une nouvelle mobilité, aussi bien en psychanalyse que dans d’autres disciplines aujourd’hui. Les métaphores archéologiques de Freud sont relues ici par Paul-Laurent Assoun puis par l’archéologue Laurent Olivier. Celui-ci renouvelle la comparaison de l’objet archéologique avec l’objet psychique en proposant une conception d’une mémoire mouvante du passé à laquelle nous ne pouvons donner sens que par et dans l’actuel. D’où son lien avec le travail de la mémoire en situation transférentielle. Mais c’est bien une nouvelle conception du temps et du rapport passé-présent-futur à laquelle ouvre l’archéologie d’aujourd’hui en interrogeant son lien avec la psychanalyse.
MOTS-CLÉS – archéologie, mémoire, strates, temporalités, trace psychique, « transformission ».
Laurence Patry – De l’importance des restes diurnes. À propos des rêves d’en haut
RÉSUMÉ – Le rôle des restes diurnes dans la formation du rêve est variable. Tantôt indifférents, ils servent de substituts au désir du rêve. Tantôt instigateurs principaux du rêve, ils trouvent des voies d’élaboration dans la régression onirique. Ces deux voies de formation du rêve rejoignent la distinction proposée par Freud entre les rêves d’en bas et les rêves d’en haut. L’auteur revient sur les nombreuses questions soulevées par cette distinction et la manière dont Freud aborde l’articulation entre vie onirique et fonctionnement psychique de veille. Cette distinction ouvre également sur l’étude des autres fonctions du rêve que sont la liaison et la régulation de l’économie psychique. Le travail du rêve préside au maillage du perceptif au pulsionnel grâce au jeu de la déformation et participe ainsi à l’édification des chaînes de pensées. Si le rêve est essentiel à notre santé psychique, il l’est aussi à notre santé physique, comme l’ont montré les psychosomaticiens de l’École de Paris.
MOTS-CLÉS – restes diurnes, principe de liaison, rêves d’en haut, fonctions du rêve, économie psychique.
Johanna Velt – L’enactment est-il un reste élaborable ?
RÉSUMÉ – Nous appuyant sur des vignettes cliniques et une revue de la littérature, nous montrons que l’enactment trouve ses origines dans le contre-transfert (Heimann), notamment de base (Parat), et la réactivité du rôle de l’analyste (role responsiveness, Sandler) ou la personnalité de l’analyste (Ferenczi, Rank). L’enactment serait alors une nouvelle voie royale vers l’inconscient et c’est la capacité de rêverie de l’analyste (Bion) qui favoriserait le passage d’un registre infra-représentationnel à un registre représentationnel, notamment l’accès au rêve. On peut voir l’enactment comme une répétition du traumatique dans le champ analytique et l’analyste pourrait en permettre l’élaboration. Les fonctionnements limites favorisant les agirs doivent nous amener à traiter ces derniers comme du matériel clinique qui se répète avant d’être remémoré. L’enactment est selon nous un reste du couple analytique qui peut trouver à s’élaborer et ouvre de nouvelles perspectives de recherche.
MOTS-CLÉS – enactment, contre-transfert, rêverie, traumatique, états-limites, transfert de base
Jean-Baptiste Dethieux – Il ne reste rien de moi
RESUMÉ – Jean « souffre » de la nécessité impérieuse de disparaître ou plutôt de s’effacer dès lors qu’une relation amoureuse s’installe. De sorte, qu’au final, il « n’en reste rien »… Au terme d’un retournement de situation, il se retrouve non plus bourreau, mais victime et consulte. Son traitement sera l’occasion de dérouler une histoire infantile inscrite dans la discontinuité d’une présence maternelle du fait d’une grave dépression et d’un éloignement rendu nécessaire pour le traitement d’une maladie cancéreuse. Ainsi, l’effacement à l’œuvre est le « maître-mot » caractérisant la vie infantile et adulte de Jean, effacement de l’autre et de soi. Celui-ci n’est pas un concept psychanalytique à proprement parler, mais peut, ici, s’envisager comme un processus de négativation de la vie psychique issu de la désunion des pulsions et permettant de lutter contre l’émergence de certaines représentations. Il devient alors un recours défensif ultime contre un objet devenu menaçant pour le moi.
MOTS-CLÉS – effacement, travail du négatif, relation d’objet, déliaison pulsionnelle.
Élisabeth Ravet Cialdella – La vivance des traces
RESUMÉ – Les restes ou traces mnésiques traversent toute l’œuvre freudienne, depuis l’étiologie de L’hystérie jusqu’à L’homme Moïse et la religion monothéiste. Ces traces souvent invisibles n’apparaissent qu’à l’occasion du transfert ou d’un nouveau traumatisme, où se joue une réactualisation du passé. Tous les analystes post-freudiens ont tenté à leur manière de retrouver leur importance dans l’inconscient et dans ses manifestations. Il en est ainsi de Ferenczi, Laplanche et Winnicott qui montrent les traces agressives du début de la vie et s’opposent ainsi à l’insistance de Freud sur la pulsion de mort à la fin de son œuvre. Nous explorerons la double temporalité de ces traces à partir du roman de Pascal Quignard et d’un cas clinique.
MOTS-CLÉS – Winnicott, Freud, traces mnésiques, restes du jour, de vie, interprétation.
Mario De Vincenzo – Anachronismes et restes dans la transmission
RESUMÉ — À travers une exploration des avatars du reste dans la transmission entre générations, ce travail tente de problématiser la question de ce qui dans le psychisme se présente comme un anachronisme, comme une forme du reste de la trace de l’autre. Il sera exploré alors comme le destin de ce reste du message énigmatique qui vient de l’autre, trace non représentée et à traduire qui peut donner lieu à des symptômes, aux formes de la répétition et aux amputations de la subjectivité. L’illustration d’un cas clinique permettra à l’auteur de montrer les enjeux de la transmission du reste énigmatique venant des générations précédentes comme reliquat de l’expérience non symbolisée, non seulement en termes de contenu traumatique, mais aussi en termes de processus psychiques qui bloquent le potentiel de reprise historicisante dans l’après-coup.
MOTS-CLÉS – reste, répétition, transmission, aliénation, traduction, après-coup.
Dinah Rosenberg — En finir pour ne jamais finir : l’art d’accommoder les restes
RESUMÉ – Cet article s’interroge sur la rupture d’une analyse que la patiente sait inachevée. Cette analyse est aux prises avec la figure d’un bébé mort ; la patiente s’absente dès qu’il apparaît dans ses associations ; et son ombre fait écran à l’émergence de l’agressivité et du sexuel dans le transfert. Pourtant la violence est au premier plan dans sa vie lors des séparations, et a même été à l’origine de la demande. Il s’agit de penser la place de la rupture à la lumière de ce qui peut se déployer dans le temps entre l’annonce d’arrêt et la fin effective. La patiente perçoit au cours du travail de la rupture qu’arrêter pourrait prendre sens dans le processus-même de la cure. La violence d’un acte qu’elle décide seule d’infliger se teinte du plaisir de garder à l’écart de la cure un pan de sa vie psychique. Cette analyse permet de questionner ce que la cure permet d’imaginer des possibilités d’élaboration après-coup de cet acte.
MOTS-CLÉS – fin d’analyse, passivité, enfant mort.
PSYCHANALYSE EN ITALIE
Stefano Bolognini – Brève histoire de la Società psicoanalitica italiana (SPI) dans le contexte international
RESUMÉ – L’histoire de la SPI est caractérisée par les grandes difficultés rencontrées au début de son existence. En effet, à cause du fascisme, de l’opposition de l’Église catholique, du courant philosophique idéaliste à l’université et de la psychiatrie organiciste dans le domaine médical, le développement de la psychanalyse a été fortement contrarié. Au niveau international, la méconnaissance des langues a pénalisé la présence des analystes italiens à l’étranger jusqu’à la seconde moitié des années 1980, en revanche, elle a favorisé un nombre considérable de traductions et de publications de livres et d’articles provenant de différentes parties du monde. Les nouvelles générations de la SPI, à partir des années 1990, se sont progressivement ouvertes sur la scène internationale avec un succès considérable tant sur le plan scientifique qu’institutionnel, contribuant de manière significative à l’évolution théorico-clinique et aux grandes réformes de la Société psychanalytique italienne. L’article présente les auteurs italiens les plus connus à l’étranger, mais qui ne représentent qu’une partie du riche panorama scientifique de la SPI.
MOTS-CLÉS – IPA, histoire de la psychanalyse, Italie, étranger, rôle institutionnel, apport scientifique.
Andrea B. Baldassarro – Psychanalyse française et psychanalyse italienne : quelle relation les lie ?
RESUMÉ – La psychanalyse italienne est caractérisée par de multiples influences héritées de son histoire et sa culture, mais elle ne manque pas d’une certaine originalité dans : la relation analytique, les modèles utilisés dans le travail clinique, les défenses infantiles primitives, le travail de groupe, la prise en compte du contre-transfert et de l’identité de l’analyste et avec un intérêt de plus en plus tourné vers les pathologies non névrotiques. Différentes positions coexistent, ce qui constitue à la fois une richesse – une plus grande possibilité de choisir entre différentes modèles – et une limite : l’absence d’un modèle unificateur pouvant agir comme un fédérateur et « dénominateur commun » pour le discours analytique.
MOTS-CLÉS – histoire de la psychanalyse, Italie, théorie psychanalytique, technique psychanalytique, relation analytique, formation des psychanalystes, supervision.
Rita Corsa — « Arrive-t-il souvent […] que le contenant précède le contenu. » Les débuts de la psychanalyse en Italie
RESUMÉ – La société psychanalytique italienne (SPI) fête bientôt ses cent ans. Elle fut fondée le 7 juin 1925 à Teramo (Rome) par le psychiatre Marco Levi Bianchini qui était alors directeur de l’asile psychiatrique de cette ville. Le premier président de la nouvelle société fut le psychiatre et psychanalyste triestin Edoardo Weiss. Les deux médecins avaient un écart d’âge de quatorze ans et des caractères différents, mais ils avaient en commun le projet – à cette époque quasi visionnaire – de diffuser la pensée psychanalytique en Italie, un pays « réticent non seulement à l’accepter, mais aussi à la nommer » (Bianchini, 1950). Freud eut des liens directs avec les deux médecins et soutint avec constance et ténacité les actions de Levi Bianchini qui ne connaissait la psychanalyse qu’à travers la lecture des textes et les contacts avec les psychanalystes du premier cercle freudien et du jeune Weiss qui pouvait s’appuyer sur une expérience de la psychanalyse plus solide grâce à l’analyse effectuée à Vienne avec Paul Federn et à sa formation au sein de l’école viennoise. Les deux précurseurs s’efforcèrent d’introduire la nouvelle science, malgré l’hostilité des milieux médico-scientifiques, religieux et politiques.
MOTS-CLÉS – origines de la Société Psychanalytique (SPI), fondation de la Rivista italiana di Psicoanalisi, Marco Levi Bianchini, Edoardo Weiss.
Anna Ferruta – L’évolution de la pensée psychanalytique dans le contexte italien
RESUMÉ – L’auteure revisite l’histoire de la pensée psychanalytique italienne et ses étapes fondamentales à partir de la fondation en 1925 de la Société Psychanalytique Italienne jusqu’à ses développements contemporains. L’article est organisé en différents sous-chapitres qui approfondissent La trace des origines, caractérisée par la traduction des Œuvres de Freud (1966-1980) et, à partir de 1946, par Les développements pluriels, c’est à dire par l’intérêt pour la pensée de Winnicott et Bion. La psychanalyse italienne est à la fois unitaire, centrée donc sur la pensée freudienne en tant que socle originaire, et plurielle, par rapport aux questions posées par l’intense travail clinique et à ses résonances transféro-contre-transférentielles sensibles aux Phases précoces de la vie psychique, à La relation et aux Transformations induites par le fonctionnement mental de l’analyste au sein du couple analytique.
MOTS-CLÉS – histoire de la psychanalyse, Italie, relation psychanalytique, transformations, développement psychique
RUBRIQUES
Théorie psychanalytique
Bernard Chervet – De la Nachträglichkeit à l’après-coup, l’en-deux-temps et l’entre-deux-temps de la pensée humaine et du désir
RESUMÉ – La généalogie du concept d’après-coup est en isomorphie avec le procès qu’il désigne, inhérent à la pensée et au désir. Cette généalogie a suivi le détour de la Nachträglichkeit avant de s’épanouir dans la psychanalyse française avec le terme d’après-coup. L’après-coup est un procès qui se déroule en deux temps et réalise un travail psychique régressif dans l’entre-deux de la période de latence. Cette configuration s’explique par le fait qu’il y a une solution de continuité entre les tendances extinctives des pulsions et l’impératif d’inscription qui s’y oppose en les utilisant. L’après-coup est la méthode dont dispose la psyché pour traiter ces tendances traumatiques corrélées aux nombreux traumas diurnes. Il permet la régénération libidinale du psychisme et des investissements objectaux. Quelle que soit la place de ce concept dans les corpus métapsychologiques des écoles psychanalytiques, le travail de séance tente de rendre efficient ce procès et ses fonctions.
MOTS-CLÉS – tendance à l’extinction, réduction à l’inorganique, extension infinie, impératif d’inscription, co-excitation sexuelle, masochisme de fonctionnement.
Psychanalyse et littérature
Julia Kristeva, François Richard – Entretien de François Richard avec Julia Kristeva sur Dostoïevski face à la mort ou le sexe hanté du langage
RESUMÉ – Julia Kristeva, répondant aux questions de François Richard, explique la genèse de son livre sur Dostoïevski, et, à partir de là, développe sa pensée aux frontières de la psychanalyse et de la littérature, s’inspirant de sa double expérience de romancière et de psychanalyste. Elle explore, avec une écriture intertextuelle, cette polyphonie où le moi dostoïevskien s’éparpille et se réunit autour d’un clivage complexe. Elle propose des hypothèses métapsychologiques novatrices sur la labilité et la mouvance d’une pluralité de clivages qui divisent et constituent l’être humain – sujet parlant – en deçà du refoulement, dans un bouillonnement sexuel infantile intriqué aux passions adultes. L’issue sera la sublimation, si on veut éviter le crime et la perversion, et juguler les crises épileptiques. Les processus sublimatoires du grand romancier sont éclairés dans leurs rapports à la religion orthodoxe où la soumission émotionnelle est requise, mais où en même temps est supposée une origine multiple et créatrice. S’ensuivent des réflexions sur notre actualité historique où l’Occident et la Russie se déchirent, ainsi qu’une invitation à écouter dans « l’érotisme sans organe » de la langue dostoïevskienne une solution pour notre XXIe siècle gangrené par la déliaison et la pulsion de mort.
MOTS-CLÉS – Dostoïevski, épilepsie, littérature, polyphonie, pulsion de mort, sexualité sans organe, sublimation, religion.
Technique psychanalytique
Patrick Miller – Les formes précoces de la vie psychique : précurseurs de la (bi)sexualité
RESUMÉ – Les formes précoces de la vie psychique contribuent aux formes de la sexualité infantile et à leur expression dans la sexualité adulte. Les enjeux d’interpénétration émotionnelle dans les premiers moments de la croissance psychique sont rejoués dans la dynamique des dispositions psychiques de l’analysant et de l’analyste pendant la séance analytique. La pénétrabilité émotionnelle, avec ses variantes, est une des sources importantes des capacités introjectives précoces et de leur qualité. Le processus d’introjection prend en compte non seulement les éléments métabolisés mais aussi le processus de métabolisation lui-même. L’expérience du plaisir sexuel dans l’orgasme reste profondément liée à cette introjection du processus de métabolisation. Il s’agirait d’une forme nucléaire de la sexualité féminine dans les deux sexes.
MOTS-CLÉS – pénétrabilité/interpénétration, introjection/identification projective inversée, ♂♀.